Un poème de de Michel Garneau (1939- )
Aile gauche
Quatre rangées de barreaux de jour en jour
me pénètrent plus profond dans la peau d’la face
mais je résiste de tout mon amour rageur
mais du sommet de mon âge, je dévale dans le temps
mais je dévale dans mon âge goulu de désirs
et rien pas même cette cage de bêtise rien ne m’écoeure !
je dévale et j’écume et j’avance et je plonge et je cherche
et je tiens tête et je ne rêve pas, je vérifie ;
je suis en vie mes calvaires !
rien ne peut m’arrêter sur la pente vivante où je veux vivre
mon coeur ne pense et j’ai la tête en fleur
je suis en amour et la beauté m’offre raison
je connais une femme plus jeune que la jeunesse
et qui m’attend à la porte des saisons
je connais une fille plus belle à elle seule
que toutes les laideurs empoisonnantes qu’on nous invente
et je boirai l’avenir aux creux des mains de ma fine demoiselle
et je vois l’avenir bleuir doucement à ses poignets
je vois déjà l’allure de la liberté dans l’allure de fête de son corps
et les prisons gros bâtons niaiseux dans nos roues
et les barreaux verdâtres qui voudraient nous lobotomiser
grandiront notre élan en nous enseignant la patience définitive
chacun de nous a son amour à accomplir et chacun de nous l’accomplira
et quand nous sortirons d’ici et que nous reprendrons pied sur terre
parmi le vrai malheur, parmi la vraie douleur
et parmi la vraie force et la vraie détresse
et la vraie tendresse et la vraie puissance de nos frères
nous reprendrons souffle aux lèvres de nos amours
et nous continuerons d’inventer un pays
qui soit digne de la force de nos rêves et de notre réalité.
Nous partageons ici entre camarades un petit malheur
inventé pour nous punir de penser tous seuls ensemble
on voudrait bien que nous n’existions pas
nos petits maîtres nous ont mis dans les limbes de leur société
Hé bien! il n’y a rien dans les limbes
et il n’y a pas de paradis
et l’enfer c’est n’importe quel regard vide de chef
et n’importe quel enfant peut vous nettoyer ça
nous sommes ici dans le Québec de nos coeurs
nous sommes ici sur la terre parmi les hommes
et à force d’amour et d’humour à force de sexe et de plaisir
à force de joie à force de coups de pied dans le cul du vieux monde
nous ferons maison nette au Québec
nous ferons place aux humains dans l’abondance de l’humanité
nous voyons l’avenir aux yeux de nos amours
nous voyons déjà l’allure de la liberté
quand notre pays sera pays et nos amours amours libres toujours
quand cette câlice de prison sera poulailler modèle
quand les vendus vendeurs travailleront pour les enfants
quand il n’y aura plus de fripouilles à occire
quand nous n’aurons plus qu’à nous aimer
en inondant le monde de sirop d’érable.
Michel Garneau
Langage 5 : Politique, Éditions de l’Aurore, 1974, 40 p.
Poésies complètes 1955-1987, Guérin Littérature/L’Âge d’homme, 1988, 772 p.
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Par France Bonneau